top of page

Merci Marketing Social !



Autres temps, autres mœurs

À l’été 1976, quelque part sur la route 138, Marie est heureuse. Du haut de ses trois ans, elle sautille sur la banquette arrière de la Cadillac blanche de son papounet. Fredonnant les harmonies de Robert Charlebois sur la cassette « 8 track », la fillette est assurément la plus candide de son bout de route. En décapotable, le vent du Fleuve St-Laurent fait drôlement bien son job de vent dans la longue tignasse de la fillette. À l’avant, mamounette grille les tiges de nicotine les unes après les autres. Dans une synchronisation quasi parfaite, elle décapsule les O’Keefe pour son homme, au fur et à mesure qu’elle se rallume sur sa précédente cigarette. Les policiers rencontrés pendant la balade saluent la petite famille jugée modèle dans les environs, ravis que des citoyens comme eux contribuent à l’agréabilité du patelin nord-côtier. 


Bien que cette mise en scène nous apparaisse aujourd’hui absurde, fut un temps où elle a pourtant été la norme. Mais comment les habitudes de consommation ont-elles pu changer boute pour boute,  en moins d’un siècle ? 


Une chose est sûre, cela ne tient pas du hasard. Derrière cette évolution des comportements, se cache une stratégie de marketing social finement élaborée et brillamment exécutée. Loin de la dictature mise en place sur d’autres continents, les marketeurs québécois ont plutôt fait preuve de gros bon sens en tenant compte des niveaux de résistance au changement des êtres humains. 


Inutile de tirer sur une fleur pour la faire pousser plus vite

En gros, lorsque vient le temps de modifier une habitude, aussi légitime soit-elle, les humains ne se mobilisent pas tous au même rythme. Alors que certains effectuent le changement avant qu’il soit annoncé, d’autres résistent aussi longtemps que la loi le permet, et encore ! 


L’étude de ce phénomène a intéressé Ryan & Gross, qui ont élaboré en 1943 le modèle théorique de la Courbe d’adoption de nouveaux comportements. Ils présentent le tout en cinq catégories. 


1- L’enthousiaste (2,5 %)


Influenceur né, il a toujours cru que le fait de conduire avec une bière entre les jambes n’était pas “fort fort”... Par pure conviction, il n’attend pas les campagnes de sensibilisation pour cesser de s’alcooliser au volant de sa Beetle. D’ailleurs, il en est bien fier, et il va parfois jusqu’à pousser l’audace de mettre sa ceinture de sécurité et de faire la morale à ses passagers, qui évitent de plus en plus d’embarquer avec lui. Il est jugé par la masse, plusieurs le trouvent carrément chiant, mais cela ne l’empêche pas de dormir. Pour le moment, lorsqu’il aborde le sujet à la salle de bingo brouillée de fumée, il se fait lancer des tomates. Mais, secrètement, il en fait une délicieuse sauce… Plus tard, les plus honnêtes diront de lui qu’il était marginal et qu’il avait vu venir l’affaire avant tout l’monde. 🚀


2- Le visionnaire (13,15 %) 

Innovateur, il embrasse aussi le changement. En entendant parler des enjeux du fait de boire au volant, il s’intéresse au sujet et se renseigne du mieux qu’il peut, avec les moyens restreints de l’époque. Par conviction, il fait partie des premières personnes à ajuster ses comportements. Il n’est pas militant, mais si on le questionne, il se fera un devoir de discuter de manière réfléchie et posée, en toute connaissance de cause. Ainsi, c’est malgré lui et en étant simplement authentique qu’il fait naturellement office d’ambassadeur de changement dans son entourage. Le fait qu’il n’essaie pas de convaincre explique peut-être pourquoi il se fait respecter par la majorité. Même pour les plus résistants, il est dérangeant, mais pas nécessairement déplaisant. On dit de lui que c’est un bon gars ! ☮️


3- Le pragmatique (34 %)

Rationnel, il cesse de boire au volant à partir du moment où il a bien pesé les pour et les contres. Avant de prendre sa décision, il observe les mouvements des autres, écoute ce qui se dit sur le sujet, chemine silencieusement… Son entourage ignore ce qu’il pense de tout ça et bien franchement, lui aussi. Inconsciemment ou consciemment, il attend qu’on lui vende l’idée. Terre à terre, il finit par effectuer les changements souhaités avec la confiance du pêcheur de capelan en pleine pêche miraculeuse. Dire qu’il traîne de la patte serait faux. En fait, son rythme est ben correct ! ✌️


4- Le conservateur (34 %)

Méfiant, il a besoin de preuves que quelque chose en vaut la peine avant de monter dans le train. Ses habitudes de vie et ses nombreuses routines prennent beaucoup de place dans son quotidien. Même qu’il pratique l’art du « Pourquoi changer une formule gagnante ? »  Suiveux à ses heures, il se résigne à cesser de consommer en conduisant lorsqu’il se rend compte que tout son entourage a accepté la patante depuis un bon bout de temps. Il a besoin qu’on lui vende les bénéfices du changement et que l’on fasse preuve de patience. Autrement, il pourrait se braquer, et on ne veut surtout pas ça de lui ! 😬


5- Le sceptique (16 %)

Définitivement retardataire, il se sent menacé et inconfortable face aux changements. L’idée de modifier son habitude de consommation du dimanche après-midi le met hors de lui. À moins d’y être forcé, il continue de faire à sa tête, et il ne s’en cache absolument pas. Il se pliera peut-être à la nouvelle loi, si et seulement si l’amande est suffisamment salée pour l’en convaincre, et encore ! S’il ne transmettait pas sa mauvaise foi à sa progéniture, la société serait peut-être plus indulgente à son égard. Certains disent de lui qu’il est une cause désespérée, et malheureusement, cela flatte son ego. 🤯



La psychologie avant l’anarchie


Pour faire adhérer une population à de nouvelles valeurs, il est capital de tenir compte de tous les rythmes. D’ailleurs, depuis des décennies, de nombreuses études ont démontré que de les ignorer s’avère complètement improductif. Autrement dit, en supposant que se faire surprendre à piloter un véhicule avec un rhum & coke dans le porte-gobelet eut été passible de prison du jour au lendemain, la rébellion engendrée aurait fait en sorte qu’aujourd’hui, cette pratique ancienne ne nous paraîtrait en fait pas si ancienne. 


Bref, qu’il s’agisse de promouvoir une cause humanitaire, des valeurs sociales ou environnementales respectueuses de la santé et du bien-être des consommateurs, ImageXpert possède l’expertise pour éviter que ses clients ne tirent pas involontairement sur les fleurs pour les faire pousser ! 🥀


Et puis, même si nous savons très bien que votre motivation première n’est pas de flasher votre bienveillance auprès de la concurrence, reste qu’on nous souffle à l’oreille qu’endosser des causes sociales n’a jamais nuit à l’image d’aucune entreprise. 😌



Petite Marie


Quarante quelques années plus tard, en interrogeant la famille de Marie sur la résistance à ce changement d’habitude du dimanche après-midi, Monsieur affirme que comme il préférait de beaucoup la crème soda de sa fille, ça a fait son affaire.


Madame, plus nuancée, rappelle à son homme qu’afin de pouvoir continuer à remplir le réservoir à essence du mastodonte blanc, il avait fallu couper dans les dépenses… Comme elle n’était absolument pas prête à réduire sa consommation de tabac, la O’keefe a sacré le camp. #féminisme


De son côté, depuis 28 ans, Marie est toujours bien fière d’apporter un deux litres de crème soda au réveillon de Noël. Son asthme a fini par avoir raison de la dépendance à la nicotine de sa mère. Par solidarité pour ses parents (mais surtout parce que ça l’écœure) elle jure qu’elle n’a jamais fumé une cigarette de sa vie. Ses parents conduisent une voiture électrique depuis cinq ans déjà et elle, une compacte hyper économique âgée de sept ans. Cette année, elle a offert à sa grande fille un abonnement annuel au service de raccompagnement TZ et elle ne lui a jamais permis de faire la voltige sur le siège arrière. 


Définitivement, Marie et sa famille doivent énormément au marketing social.

bottom of page